Boite à outils
Demander à des enfants de se calmer est une chose. Mais leur expliquer comment faire en est une autre… Aux Pays-Bas, Eline Snel est une grand-mère pas ordinaire : thérapeute, elle a développé une méthode fondée sur la pleine conscience et écrit un livre à destination des parents pour initier les enfants à cette pratique. Et cela fonctionne ! Interview…
Quelle est votre définition de la pleine conscience ?
La pleine conscience, c’est être présent avec bienveillance à ce qui se passe ici et maintenant. C’est percevoir le soleil sur sa peau, sentir des gouttes salées sur ses joues ; c’est éprouver l’irritation dans son corps, mais aussi la joie ou le malaise au moment où ils surgissent. Sans devoir en faire quelque chose, sans tout de suite y réagir ou exprimer ce que l’on en pense.
La capacité à être pleinement dans le présent n’est-elle pas propre aux enfants ? Quelle est l’utilité de leur apprendre une pratique qui leur est naturelle ?
En effet, la plupart des enfants ont cette intelligence intuitive de savoir vivre intensément l’instant présent. Mais un nombre grandissant d’entre eux sont agités, ont des problèmes de concentration, développent parfois une image négative d’eux-mêmes et sont soumis à beaucoup de pression de la part de l’école et de leurs parents… Nous l’avons largement constaté au travers de nos échanges avec les enfants, les professeurs et les parents. Et pas seulement en Europe, mais également en Asie, aux États-Unis, en Amérique du Sud…
Comment vous est venue l’idée d’initier les enfants à la pratique de la pleine conscience ?
J’ai commencé par enseigner la pleine conscience à des adultes. En 2009, lors d’un stage avec les instituteurs d’une école, le directeur m’a demandé d’initier également les élèves. J’ai donc commencé à pratiquer avec les enfants. J’ai alors découvert combien ils aimaient cela et combien cela leur était bénéfique ! J’ai alors rédigé une méthode – « L’attention, ça marche ! » – et commencé à organiser des stages pour former les adultes à l’enseignement de la pleine conscience aux enfants. Un jour, un groupe de parents m’ont demandé de leur donner des outils pour pratiquer eux-mêmes avec leurs enfants, à la maison. J’ai alors consigné une méthode. Un éditeur l’a découverte et a souhaité la publier. Et voilà comment est né mon premier livre-CD, « Calme et attentif comme une grenouille » (NDLR : publié dans 33 pays) !
Comment s’utilise votre livre-CD ?
Il s’adresse à la fois aux parents et aux enfants. Le livre présente ma méthode et donne des clés aux parents pour mieux gérer les émotions de leurs enfants. Le CD est à faire écouter aux enfants, pour qu’ils puissent, tout seuls ou avec leurs parents, effectuer les exercices de Pleine Conscince. Une voix douce les guide – celle de Sara Giraudeau, dont le père, Bernard Giraudeau, a pratiqué avec passion la méditation à la fin de sa vie. Certains pratiquent tous les jours et d’autres parents mettent le CD quand ils y pensent ! Si l’enfant n’arrive pas à s’endormir, s’il est nerveux avant un examen à passer à l’école, triste, angoissé, ou bien s’il traverse un moment douloureux… De nombreux parents utilisent également le livre-CD pour pratiquer eux-mêmes ! Ils apprécient la simplicité des exercices et leur durée – plus courte que celle des méthodes pour adultes.
Quels sont les bénéfices de votre méthode ?
Les enfants ont moins de symptômes d’hyperactivité, ils développent leur confiance en eux, dorment mieux, sont moins angoissés, arrivent à mieux se concentrer… Les parents se sentent moins stressés et arrivent plus facilement à gérer les comportements parfois difficiles de leurs enfants. Quant aux enseignants, ils voient la capacité d’apprendre de leurs élèves s’améliorer…
Tous les enfants y sont-ils réceptifs ?
La plupart le sont. Dans un groupe de 25 enfants, parfois 3 ne sont pas réceptifs au départ. Ils trouvent cela étrange, ennuyeux, et ne sont pas habitués à se concentrer, à entrer en eux-mêmes. Mais à la 4e leçon, ils sont généralement conquis !
Comment s’y prendre pour motiver un enfant qui trouverait cela sans intérêt ou qui, trop agité, serait incapable de se concentrer et de rester immobile ?
L’important est de ne pas juger, ni de chercher à corriger ou à punir le comportement de l’enfant. Mais de lui demander : « As-tu remarqué toutes tes pensées dans ta tête ? Sens-tu la colère au fond de toi ? Remarques-tu comme tu bouges sans arrêt ? » Ces questions aident l’enfant à se poser. La pleine conscience lui apprend que tous ces phénomènes sont temporaires : ils arrivent, restent un moment, puis repartent. Cette prise de conscience du mécanisme de ses émotions, de ses pensées, de son corps l’aide à mieux se gérer.
Avez-vous autour de vous des personnes que vous avez initiées enfants et qui sont aujourd’hui adultes ?
Non, pas encore ! Mais nous avons en revanche enseigné la pratique de la pleine conscience à des adolescents qui ont maintenant entre 21 et 25 ans. Et la plupart de ceux dont nous avons des nouvelles pratiquent quotidiennement (entre 5 et 10 min), voire plus, avant un examen.
Vous avez créé il y a 5 ans l’Académie pour l’enseignement de la pleine conscience aux Pays-Bas. À qui s’adresse-t-elle ?
L’Académie pour l’enseignement de la pleine conscience (AMT) propose à tous les professionnels qui travaillent avec des enfants de 4 à 18 ans (enseignants, médecins et pédiatres, thérapeutes, coachs sportifs…) une formation professionnelle de 8 semaines à l’enseignement de la pleine conscience. Des sessions sont organisées en français (à Paris et à Bruxelles) et en anglais (aux Pays-Bas, à Hong-Kong et en Suisse).
Comment, concrètement, la pleine conscience est-elle enseignée dans les écoles ?
L’enseignement des élèves dure de 8 semaines (écoles primaires) à 10 semaines. Chaque début de semaine commence par une session de 35 à 50 min ; les autres jours, les exercices ne durent que 10 min.
Aux Pays-Bas (votre pays), il est dit que le ministère de l’Éducation offre à tout enseignant qui le demande une formation dans votre école. Est-ce vrai ?
C’est un quiproquo ! Le ministère de l’Éducation met à disposition, de manière générale, un budget de 500 € par an à l’attention de tous les professeurs, pour se former à ce qu’ils souhaitent, et pas seulement à l’enseignement de la pleine conscience ! Et les écoles disposent également d’une somme relativement importante pour permettre à leurs professeurs d’accéder à des formations de tout genre. Maintenant, il est vrai que de plus en plus de professeurs et d’écoles aux Pays-Bas choisissent notre formation.
Le mot de la fin ?
Deux choses : aux Pays-Bas, se déroule actuellement un grand débat sur ce que devrait être le contenu de l’école à l’horizon 2032. Et la pleine conscience semble devoir faire partie intégrante des apprentissages ! D’autre part, le monde scientifique s’intéresse de plus en plus à l’impact de la pleine conscience sur les enfants. Tout comme pour les adultes il y a quelques années, des études sur le sujet sont en train d’être effectuées, notamment par le Laboratoire Inserm Research Center for Epidemiology and Biostatistics (U897) de l’université de Bordeaux… Deux bonnes nouvelles !
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