Voilà bien l’une des plus difficiles missions des parents du XXIe siècle que celle de trouver un compromis entre les deux repoussoirs éducatifs que sont le laxisme et l’autoritarisme. Permettre à l’enfant d’intégrer les règles de vie en société, tout en cultivant son esprit critique ; assumer sa place de parent, sécurisant et protecteur, tout en aidant son enfant à développer ses goûts et sa personnalité. Missions impossibles ?
Pourquoi les règles sont essentielles
Toutes les sociétés humaines sont structurées autour de règles, implicites ou explicites. Si certaines ont une dimension universelle (comme l’interdiction de tuer, ou celle de l’inceste), d’autres sont au contraire très spécifiques. C’est le cas par exemple des règles de politesse ou de communication : dans certains pays d’Asie, roter à table est tout à fait acceptable, mais se moucher est le comble de la vulgarité ! Toutes ces règles assurent la cohésion de la société : ceux qui les respectent sont inclus, ceux qui les transgressent sont souvent exclus, une des raisons pour laquelle elles représentent un fort enjeu d’apprentissage.
Mais ce n’est pas tout, car nombreux sont les psychologues contemporains qui considèrent que les règles ont de surcroît une vertu de structuration mentale chez les enfants, sans lesquelles ceux-ci demeureraient en proie à leurs pulsions les plus primitives. Claude Halmos dépeint ainsi une « sauvagerie très ordinaire » qui serait « très normale tant que l’enfant n’est pas éduqué ». D’autres thérapeutes sont pourtant plus nuancés. Pour Philippe Aïm, psychiatre et hypnothérapeute, « la sécurité précède l’autonomie ». Ainsi, ce n’est pas tant la règle en elle-même qui serait structurante, mais le cadre de sécurité et de liberté que celle-ci contribue à définir.
Négociable, ou non négociable ?
Construire pour son enfant un cadre de sécurité plutôt qu’un cadre d’interdits, voilà une première façon de concilier autorité et bienveillance. Elle nous conduit notamment à distinguer les règles non négociables de celles qui le sont. Anna Tardos et Anne Vasseur-Paumelle, psychologues à l’association Pikler Lóczy-France*, ont ainsi défini trois types de règles :
– Les règles rouges : peu nombreuses, elles portent sur la sécurité des enfants et doivent être imposées sans négociation. Par exemple : un enfant qui tente de traverser au feu rouge doit être arrêté, sans explication préalable.
– Les règles roses : elles sont les plus nombreuses, ce sont les règles de socialisation qui structurent la vie quotidienne. Par exemple : se laver le soir, ne pas écrire sur les murs, ne pas crier quand quelqu’un dort. Celles-là doivent être expliquées et négociées, car c’est ainsi que les enfants pourront se les approprier.
– Les orientations bleues : c’est l’ensemble des valeurs éducatives que les enfants apprennent par observation et imitation. Il est contre-productif de les imposer de manière trop rigide. Par exemple : être attentif aux autres, prêter ses jouets, s’intéresser à ce qui est appris à l’école.
Poser ses limites
Prendre le temps de négocier, d’expliquer, d’écouter, de trouver des compromis… ce n’est pas ça qui fera de vous un parent « laxiste » ! Bien au contraire, vous pourriez même permettre à votre enfant d’acquérir des compétences cruciales pour sa future vie d’adulte. C’est en tout cas l’avis du psychiatre Daniel Siegel et de la docteur en psychologie Tina Payne Bryson, tous deux adeptes de l’éducation positive. Dans leur livre Le Cerveau de votre enfant, ils proposent aux parents de cesser de voir les conflits du quotidien – crises de colère, d’opposition, petites transgressions – comme des échecs éducatifs pour les envisager au contraire comme autant d’occasions d’apprentissage : l’occasion de montrer aux enfants que les conflits se résolvent, que les désaccords se surmontent et que les petites bêtises se réparent.
Mais attention toutefois à ne pas s’épuiser ! Négocier avec son enfant, c’est tout de même plus facile quand on ne sort pas d’une nuit blanche ou d’une rage de dents ! Pour cette raison, il est impératif de respecter et de faire respecter ses propres limites de parent. Pour la psychothérapeute Laurence Dudek, l’éducation positive ne devrait jamais être synonyme de sacrifice ou d’oubli de soi. Dans son livre Parents bienveillants, enfants éveillés, elle conseille aux parents de ne renoncer à rien : ni à la bienveillance, ni à l’excellence, ni à l’exigence, et surtout pas à leurs besoins de parents. La raison en est simple : si l’on n’est pas bienveillant avec soi-même, on le fera payer à l’enfant, tôt ou tard.
Savoir dire « oui »…
De l’avis de toutes et tous, savoir dire « non » est une compétence parentale si indispensable qu’elle nous ferait presque oublier sa jumelle, ingrédient tout aussi précieux de l’accompagnement éducatif : savoir dire « oui ». Il ne s’agit pas ici du « oui » extorqué à des parents épuisés, qui chercheraient d’abord un peu de tranquillité et que d’aucuns pourraient qualifier de « démissionnaire ». C’est un « oui » plein et entier, celui qui fait du parent le roc sur lequel l’enfant va pouvoir s’appuyer, celui qui dit « vas-y, je suis là, tu peux avoir confiance en toi » et qui accompagne toutes les « premières fois » : premiers pas, première dégringolade du toboggan, première rentrée, premiers coups de pédales sur un vélo de grand…
Pour se souvenir régulièrement de la puissance du « oui », certains parents programment chaque année une « journée du oui »**. Le principe en est simple : lors de cette journée, le parent doit éviter de dire « non » aux demandes de ses enfants. Tout n’est pourtant pas permis ; quelques règles, destinées à préserver la sécurité et la sérénité de tous sans entraver la créativité, sont fixées en amont : ne rien demander de dangereux, de coûteux ou d’irréversible (comme, par exemple : se percer les oreilles). Pour beaucoup de parents qui s’y sont risqués, l’expérience s’est révélée fort instructive : ils ont découvert que les désirs de leurs enfants étaient souvent simples, drôles, créatifs, et qu’ils accordaient une place prépondérante au temps passé ensemble ; ils ont également mesuré la nécessité de permettre régulièrement aux enfants de faire leurs propres choix et de les assumer ; ils ont enfin réalisé la quantité des petites choses sur lesquelles eux-mêmes pouvaient lâcher prise sans voir s’effondrer toute leur éducation (ni leur maison !). Alors, prêts à tenter l’expérience ?
Bibliographie
* L’association Pikler Lóczy-France tente de poursuivre l’œuvre de la pédiatre hongroise Emmi Pikler, connue pour ses travaux sur la motricité libre et l’accompagnement de l’enfant.
** Voir également, en anglais : « Yes Day ».
L’auteure
Diplômée de Sciences de l’éducation et désormais journaliste indépendante (www.slate.fr, L’Enfant et la Vie, Grandir Autrement et maintenant Bubble Mag…), fondatrice du site participatif sur l’éducation « Les Vendredis Intellos », maman de 5 enfants et blogueuse à ses heures perdues (lapenseebuissonniere.com), Béatrice Kammerer est désormais auteure avec son 1er livre : Comment éviter de se fâcher avec la terre entière en devenant parent ? Ce titre, un brin provocateur et très marketing, cache en réalité un fond très riche et sérieusement documenté. « 35 ans et toujours pas d’enfant… Attention, il sera bientôt trop tard ! » ; « Les nouveaux pères sont-ils de meilleures mères ? » ; « Faut-il mater l’enfant roi ? » ; « Survivrons-nous à la bombe A-dolescence ? »… voici quelques-unes des questions qui fâchent sur la parentalité.
À l’opposé des livres « modes d’emploi » qui débordent de conseils et d’injonctions, cet ouvrage tente d’éclairer les bases scientifiques et idéologiques de ces éternels débats afin de permettre à chaque parent de faire le « bon » choix : celui qui prend sens pour lui, pour son enfant et sa famille.
« Comment éviter de se fâcher avec la terre entière en devenant parent ? », de Béatrice Kammerer et Amandine Johais. Belin, 2017, 21€.
Blandinele 21 février 2018
Ce n'est certainement pas par hasard que je suis tombée sur cet article, que je trouve absolument excellent dans la richesse des ressources qu'il compile et lie les unes aux autres. Je ne comprends cependant pas bien s'il s'agit d'une présentation-résumé du livre ou d'un extrait. Je suis Béatrice Kammerer déjà depuis longtemps (notamment par le biais des Vendredis Intellos) et je suis toujours enchantée de ce qu'elle écrit. Bravo pour cet article!
Chaque semaine, une pincée de créativité dans votre boîte mail !
S'inscrire