Boite à outils
Rarement une partie de plaisir, les devoirs du soir tournent trop souvent au cauchemar. Démunis, les parents s’énervent, les enfants se rebellent, et les remontrances s’amoncellent. Audrey Akoun et Isabelle Pailleau, psychologues, se sont penchées sur la question et proposent une alternative salvatrice au travers d’ateliers, dans leur « Fabrique à Bonheurs » !
Qu’est-ce que La Fabrique à Bonheurs ?
La Fabrique à Bonheurs est un espace que nous avons ouvert à Paris où nous avons regroupé toutes nos activités : notre cabinet de consultations privées, nos ateliers à destination du public et nos modules de formation pour les enseignants qui souhaitent être initiés à la Pédagogie Positive. Nous avons choisi un lieu accueillant en rez-de-chaussée, avec une devanture qui donne sur la rue, une adresse ouverte sur l’espace public. Avec la volonté de dédramatiser la consultation de psychologie.
À qui s’adressent vos ateliers ?
De l’enfant de 8 ans à l’adulte ! L’atelier « Apprendre autrement avec la pédagogie positive » est destiné aux enfants de 8 à 14 ans accompagnés de leurs parents ; « Booster ses révisions et réussir ses examens », aux lycéens et étudiants. Les deux se déroulent sur une journée. L’atelier « Penser et organiser son travail et sa vie avec le Mind Mapping », dispensé sur 2 jours, est destiné aux adultes – notamment à ceux qui sont en reconversion professionnelle et qui doivent repasser des examens – et aux salariés.
La Pédagogie Positive, c’est quoi exactement ?
La Pédagogie Positive est une approche qui intègre à la fois la pédagogie et la psychologie positive, courant initié en 1998 par le psychologue Martin Seligman et qui étudie les conditions et les processus qui contribuent à l’épanouissement des individus. Avec notre livre et dans nos ateliers, nous essayons de donner des clés aux parents et aux enfants pour optimiser l’apprentissage au travers d’une approche pédagogique globale, concrète et outillée, qui prend en compte le cognitif, l’émotionnel et le somatique – ce que nous appelons notre approche « Tête, Cœur et Corps ».
Vous parlez d’une approche « outillée » : de quels outils parlez-vous ?
De la gestion mentale, de l’importance de connaître le profil de son enfant (visuel, verbal…), du Mind Mapping, de la méthode des lieux, de la pensée visuelle par association d’idées… Ce qui est essentiel, c’est de se demander ce que les mots, les concepts évoquent pour l’enfant. Quand il bute sur une difficulté, posez-lui la question : « Quand je te dis ça, qu’est-ce qui se passe dans ta tête ? » En atelier, nous avons souvent des enfants fous de jeux vidéo. Pour qu’ils mémorisent leur carte de géographie par exemple, nous leur disons : « Imagine que c’est toi dans le jeu vidéo et que tu te balades au milieu d’un paysage en 3D. Eh bien, là tu vois des montagnes, là, des fleuves… » S’il faut en passer par là pour qu’ils retiennent, eh bien allons-y !
Qu’entendez-vous par « Corps et Cœur » ?
La dimension du « Corps » est celle qui est le plus souvent oubliée. Certains enfants ne tiennent pas en place. Eh bien laissons-les bouger quand ils font leurs devoirs. Si, pour apprendre, ils doivent faire des ronds dans leurs chambres, pourquoi pas ? En quoi cela serait-il mal ? Quand au « Cœur », l’important est de prendre en compte le rôle des émotions de l’enfant dans l’apprentissage. Ce n’est pas parce que l’on a décidé que c’était l’heure des devoirs que l’enfant est disposé émotionnellement à les faire précisément à ce moment-là. Il vient peut-être juste de faire une colère ou d’être déçu par quelque chose, et, dans un tel état, cela ne sert à rien de s’y mettre. C’est l’échec assuré.
De nos jours, il y a de plus en plus d’enfants qui ont un ego surdimensionné, une sorte d’arrogance. N’est-ce pas le risque de trop les complimenter ?
C’est le résultat, surtout, d’une absence de cadre éducatif, de respect, de politesse, de contraintes. Certains parents valorisent leur enfant à tout bout de champ, sans que cela ne repose sur une aucune réalité. Tout ce qu’il fait est génial. Dans ce cas, en effet, l’enfant se croit vite supérieur aux autres. À l’inverse, il est important de valoriser les efforts, et ce, indépendamment des résultats. Il est important de féliciter un élève dont la moyenne au 2e trimestre passe de 7 à 9 sur 20, même si ce n’est pas suffisant. Cela lui donnera envie de continuer.
Le but de la Pédagogie Positive est-il de faire de nos enfants des premiers de la classe ?
Non ! Ce qu’il faut retenir, c’est qu’avant tout la Pédagogie Positive est là pour donner aux enfants confiance en eux. Le problème aujourd’hui, c’est qu’il y a un effet inverse : nous sommes tellement obnubilés par la réussite scolaire et la performance que l’on stresse les enfants. Quand on sait à quel point la réalité économique et sociale est difficile, autant leur donner des armes pour lui faire face : l’autonomie, l’estime de soi… Il y a des tas de gamins qui ont été super bons à l’école, mais à quel prix ? Pressions, tensions, sanctions, censure, formatage… ont baigné leur quotidien. Or, une fois en entreprise, certains n’osent pas faire preuve d’initiative, être force de proposition et n’ont aucune créativité, car, au fond, ils n’ont pas confiance en eux. Ils reproduisent le rapport d’autorité qu’ils ont eu avec leurs parents et restent « sages ».
Vous faites souvent référence à l’autonomie : comment rend-on son enfant autonome ?
Pour nous, dès 3 ans, un enfant peut aider à mettre la table et, à 7 ans, descendre les poubelles ! L’idée est de montrer à l’enfant, très tôt, qu’il peut faire des choses sans l’aide de papa et maman, et qu’il peut agir pour la collectivité. Il n’y a pas d’autonomie dans le travail et l’apprentissage s’il n’y a pas d’autonomie dans le quotidien.
Faut-il attendre que nos enfants soient en difficulté pour se servir de la Pédagogie Positive ?
Non, bien au contraire ! La Pédagogie Positive n’est pas seulement là pour remédier à un problème. C’est avant tout un modèle d’éducation, une pédagogie joyeuse qui donne le goût d’apprendre partout, tout le temps. Et qui doit être mise en œuvre dès le plus jeune âge, de manière préventive, sans attendre d’éventuelles difficultés.
Avec deux mamans comme vous, vos enfants doivent être des super cracks à l’école, non ?
Eh bien… au risque de vous décevoir : non ! Certains de nos enfants s’en sortent très bien scolairement, après un parcours qui a pu être chaotique, et d’autres ont plus de difficultés à accepter la règle du jeu de l’école. En revanche, même s’ils ne sont pas tous premiers de la classe, ils ont en commun d’être bien dans leurs baskets et d’avoir confiance en eux. Ils savent que nous sommes fières d’eux et que nous les encouragerons toujours à développer leurs talents. Camille (la fille aînée d’Isabelle, ndlr), qui est pâtissière, n’a pas son bac, mais cartonne professionnellement. À 19 ans, elle est chef pâtissier dans un grand palace, avec 4 personnes sous ses ordres. David (le fils aîné d’Audrey, ndlr), après un redoublement en 4e et en seconde, s’est réveillé en première S et envisage de faire médecine alors que son frère de 13 ans trouve que l’école « ça sert à rien »…
N’avez-vous pas rêvé, comme nombre de parents, que vos enfants fassent de grandes écoles ?
Jamais. Quoi qu’ils souhaitent faire, quelles que soient leurs passions (la cuisine, la médecine, la mécanique…), nous ne portons surtout pas de jugement sur leur choix. Nous espérons seulement leur avoir donné assez de confiance en eux pour avoir toujours envie de progresser, d’apprendre. Ce qui importe, c’est qu’ils s’épanouissent dans leur travail.
Et les enfants qui n’ont pas de passion ?
Déjà, ce n’est pas parce qu’ils n’ont aucune passion qu’ils n’ont pas de talents. Si l’on prend le temps d’observer un enfant, on remarque vite qu’il a certaines habiletés, scolaires ou pas, plus développées que les autres. L’école, heureusement, n’est pas le seul indicateur de l’intelligence ! À nous de mettre l’accent dessus plutôt que sur ce qui lui manque. Et puis il y a des enfants qui se révèlent après le bac, une fois sortis du système scolaire. Le gros challenge des parents aujourd’hui, c’est d’arriver à lâcher prise en arrêtant de leur mettre la pression, tout en maintenant un cadre qui les accompagne jusqu’à l’âge adulte.
Tous les enfants sont-ils des bons élèves en puissance ?
Non, tous les enfants ne sont pas de bons élèves en puissance. Quelles qu’en soient les raisons, certains enfants auront toujours des difficultés à l’école et ne s’accompliront qu’après avoir trouvé leur voie. En revanche, tous les enfants sont des adultes épanouis, responsables, curieux et talentueux en puissance. C’est pour cela qu’il est essentiel de cultiver leur confiance en eux, leur curiosité, leur autonomie et de les aider à découvrir et à développer leurs talents.
Avez-vous évalué de manière scientifique vos méthodes ?
Non. Notre pédagogie n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation scientifique à proprement parler. Si des chercheurs veulent se pencher sur la question, nous les accueillons bien volontiers ! En revanche, si l’on en croit les nombreux témoignages des enfants et des adultes, notre méthode leur a fait radicalement changer leur manière de vivre la relation à l’apprentissage.
Et la reconnaissance institutionnelle arrive ! L’Éducation nationale, qui faisait déjà appel à nous pour leur cellule Innovation, nous a approchées de manière plus pragmatique, au travers de leur Direction des programmes. Pour réfléchir, d’une part, à un module qui serait intégré à la formation des enseignants et, d’autre part, à la manière dont on pourrait intégrer les outils de la Pédagogie Positive dans les programmes et les manuels scolaires.
À l’heure où toute la connaissance est à portée de clic, il devient urgent d’apprendre aux enfants à « apprendre », justement, à se connaître, à réfléchir sur la vie ensemble, à développer son esprit critique. Avoir « une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine », n’est-ce pas ?
Portrait
Audrey Akoun est psychothérapeute comportementaliste et cognitiviste, spécialisée dans la gestion des émotions. Isabelle Pailleau est psychologue du travail et des apprentissages. Elles sont également thérapeutes familiales et formées à la Gestion mentale, à la sophrologie et au Mind Mapping et, à elles deux, mamans de 7 enfants, de 1 an à 19 ans !
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